Bunker Cities

Une enquête de Paul Moreira
Arte le 27 mars 2012 à 22h50

Imaginons que, demain, les plus aisés d’entre nous se retranchent dans des villages privés, derrière des enceintes sécurisées… De l’autre côté des murs, vivront les miséreux. Ghettos de riches. Ghettos de pauvres. La ville et la société à deux vitesses représentent sans doute le défi majeur du XXIème siècle.

Science fiction ? Non. Un peu partout sur la planète, ce nouveau mode de vie est déjà en train de surgir.

Dans les mégapoles des pays du Sud, une nouvelle classe moyenne voit ses revenus décoller. En Afrique, en Asie, en Amérique Latine, elle atteint des niveaux de vie comparables à ceux des européens. Mais ces îlots de prospérité n’existent qu’au milieu d’un océan de misère. Alors ils doivent se bunkeriser.

Au Brésil, tous les nouveaux projets urbains sont des condominios, des sortes de villes privées, avec leurs magasins, leurs services, leur police armée, encerclés d’une enceinte infranchissable qui les coupe des bidonvilles. Police privée dans les condominios et pouvoir parallèle des gangs dans les favelas. Car la privatisation de la ville s’accompagne d’un recul de la puissance publique. Deux univers séparés où l’Etat peine à intervenir.

C’est le cas aussi, de plus en plus souvent, en Europe. En France, à Toulouse, des dizaines de résidences sécurisées ont été construites tout près d’un ensemble HLM géant où la police ne met plus les pieds. Dans le quartier « social » du Mirail, la police de proximité a disparu. Elle est remplacée par des « médiateurs », jeunes habitants des cités, qui ramènent au calme les plus chahuteurs. Ceux qui pouvaient se le permettre ont déménagé et se sont installés dans les résidences privées.

Les murs sont le symptôme d’un conflit. Ils peuvent aussi devenir des armes dans les nouvelles guerres urbaines. Un ersatz de paix en béton armé. Ainsi à Bagdad, les Américains ont encerclé des dizaines de quartiers par des barrières de béton. Des centaines de milliers d’Irakiens vivent désormais dans des prisons à ciel ouvert. Officiellement, l’armée américaine a affirmé qu’elle souhaitait offrir aux irakiens le concept de « gated comunities ».

Murs politiques, religieux mais surtout murs sociaux. Les murs évitent d’avoir à réparer les injustices.
Moins l’Etat s’engage pour le bien commun et plus les murs poussent, plus les ghettos se forment, la police se privatise.

20 ans après la chute du grand mur de la guerre froide, des milliers de petits murs strient les villes et les sociétés, évoquant le cauchemar d’un apartheid urbain qui tiendrait lieu de nouveau contrat social.
Le futur a déjà commencé.