Afrique du Sud, génération post-apartheid

Un film de Stéphanie Lamorré
Mardi 9 décembre 2014 sur Arte à 23h40

 

Projection spéciale au Festival Géopolitique de Grenoble du 16 au 19 mars 2016 

 

Sélection officielle FESTIVAL DU FILM ET FORUM INTERNATIONAL SUR LES DROITS HUMAINS 2015 

20 ans après la fin de l’apartheid, l’Afrique du sud reste un pays marqué par la division raciale. Peu de temps après la mort de Nelson Mandela le 5 décembre 2013, la réalisatrice Stéphanie Lamorré a filmé pendant plusieurs semaines l’engagement de jeunes nés après 1994, appelés les « Nés libres » (« Born free »). Ils s’apprêtaient à voter pour la première fois pour la présidentielle de mai 2014. Pour certains, Mandela est un souvenir lointain, pour d’autres une icône. Mais tous parlent de liberté et de démocratie. Pourtant derrière l’espoir, transpire l’échec d’une société ou blancs et noirs ne se mélangent toujours pas. Un film intimiste et attachant sur cette nouvelle génération de Sud-Africains.

LES PERSONNAGES

Six jeunes sud-africains. Chacun avec sa forte personnalité. Chacun avec son engagement.

 

SHANE 18 ans. Son rêve : devenir un « politicien poète ». Il est en dernière année du lycée et membre actif de COSAS (Congress of South African Students). Il vit seul avec sa mère, et n’a pas connu son père. Ils habitent un logement social alloué gratuitement par le gouvernement pour les familles en difficulté, dans le township d’Alexandra dans la banlieue de Johannesburg. Shane veut participer au changement de la société, pour lui l’ANC demeure le seul parti capable de diriger le pays. « La souffrance, l’absence de père, la pauvreté, tout cela m’inspire. Si je peux me tenir debout dans la foule et clamer « je peux réussir », alors je pense que chaque jeune en Afrique du Sud en est capable. Mon père m’a abandonné. Mon seul père a été Nelson Mandela, c’est lui qui a fait de moi un homme en quelque sorte. Mon rêve, c’est d’être Président de l’Afrique du Sud ».

    MBALI 24 ans. Orpheline, elle vit avec sa grand-mère et son frère. Etudiante en deuxième année à l’université, elle suit des études d’administration publique. Elle soutient l’ANC, mais elle reconnaît quedes erreurs ont été commises. Mandela reste son héros, mais « la génération des Nés libres doit prendre son destin en main. » « Nous, les Africains, nous critiquons toujours “les Blancs, les Blancs…”. Mais les Blancs vont à l’école, ils encouragent leurs enfants à faire des études. Et même s’ils sont avantagés, nous aussi, on a des privilèges. Les Blancs travaillent dur, ils ont une mentalité capitaliste. Quand ils veulent avoir un enfant, ils le planifient. Nous, on ne fait pas de projets, on n’investit pas, on ne fait que se plaindre. Je veux être élue députée au Parlement pour jouer un rôle dans l’élaboration des politiques et montrer que notre génération n’est pas corrompue ».

 

MALCOLM 25 ans. Il vit avec son cousin dans une seule pièce dans le township d’Alexandra. Il vient de la province de Limpopo, une zone rurale du nord du pays. Il a obtenu deux diplômes en économie, mais il ne trouve toujours pas de travail. Il critique la corruption au sein de l’ANC et milite activement pour le parti Economic Freedom Fighters (EFF). « Nous ne gagnerons pas notre libération par le vote. Quand les Blancs ont pris possession des terres en Afrique du Sud,  ils ont littéralement commis un génocide, ils ont tué les Noirs, nos ancêtres, pour s’emparer des terres. A l’EFF, nous sommes contre la compensation aux Blancs des terres qui ont été volées aux Noirs. Mais nous ne voulons pas non plus donner l’impression de chasser les Blancs. Nous disons simplement que la réappropriation des terres doit se faire dans l’intérêt public. Aussi bien des Noirs que des Blancs ».

 

BOTHSELO 23 ans. Il vit avec sa mère et son jeune frère dans le township d’Alexandra. Il est en 2ème année d’études de commerce à l’université. Il milite activement pour le Democratic Alliance (DA) pour « fédérer le pays, sans racisme, ni discriminations ». « L’Afrique du Sud est une société très en colère, les gens se sentent floués. Comment peut-on parler d’un peuple libéré alors qu’il y a encore tant de gens qui n’ont pas accès à une éducation de qualité ? ».

 

 

 

REBECCA 22 ans. Sa famille, aisée, est moitié anglaise, moitié afrikaner. Rebecca étudie la psychologie à Wits, l’une des meilleures universités de Johannesburg. Son petit ami noir est d’origine nigériane, il a émigré très jeune en Afrique du Sud et se sent Sud-Africain. Lui aussi est issu d’une famille aisée. Ils forment donc « un couple mixte », comme les appellent les Sud-Africains, ce qui est encore très rare. Rebecca porte un regard lucide sur la situation du pays durant l’apartheid, puis sur les 20 années de pouvoir de l’ANC. « À cause des différences culturelles, nous devons accepter que les gens issus de différentes origines, fassent les choses différemment. J’ai eu la chance d’aller dans une bonne école, de grandir dans un bon environnement, mais il y a des gens dans ce pays qui n’ont rien. C’est difficile d’être privilégiée dans ce pays car tout le monde ne se sent pas libre. Il y a toujours du racisme, certains n’ont pas la possibilité de profiter de leurs droits à l’éducation, à l’emploi, au logement. Donc tout le monde n’est pas libre et c’est injuste ».

 

STEFAN 22 ans. Il est technicien dans une entreprise de construction à Pretoria, la capitale administrative. Il habite chez la famille de sa fiancée. Stefan est né après l’apartheid, pourtant sa vision de la communauté noire demeure radicale.« Je ne vote pas. Il y a 50 millions d’habitants en Afrique du Sud, dont 4 millions de Blancs. On ne pourra jamais accéder au pouvoir par le vote. Je ne vis pas comme un Sud-Africain, je vis comme un Boer. Je regarde mon pays, la terre des Boers où se trouve ma liberté. Et tout ce que je fais, c’est pour cette terre. La situation dans le pays, la corruption, les viols, les meurtres de fermiers blancs, c’est l’échec des soi-disant héros de la fin de l’apartheid ».

LE CONTEXTE POLITIQUE

En Afrique du sud, la situation politique est tendue, la croissance est atone (0,6 % au deuxième trimestre 2014), le taux de chômage atteint près de 25 %. Malgré les nombreuses affaires de corruption, Jacob Zuma a été réélu président en mai 2014. Avec 62% des suffrages, c’est une victoire relative de l’ANC, le parti de Mandela a notamment perdu 10% de son électorat dans la province de Johannesburg. Le principal parti de l’opposition, le Democratic Alliance (DA) de Hellen Zille (un parti composé de militants noirs et blancs) conserve la région du Western Cape. Le nouveau parti Economic Freedom Fighters (EFF) de Julius Malema n’a pas remporté la victoire qu’il espérait, mais obtient tout de même 25 sièges au Parlement et devient la troisième force politique du pays. Malema, l’ancien président évincé de la ligue de jeunesse de l’ANC, a fait campagne avec un programme populiste et anti-blancs. Il obtient son meilleur score dans le North West (12.5% des suffrages), la région où s’est déroulée la révolte de la mine de Marikana en 2012, au cours de la laquelle 34 mineurs en grève avaient été tué par la police sud-africaine lors d’une fusillade. Les jeunes sud-africains nés après l’apartheid, qui votaient pour la première fois, tant convoités pendant la campagne, n’ont finalement qu’assez peu participé à l’élection. Seul un jeune sur trois a voté.