Panique chez les Bœuf-carottes du PAF
Daniel Schneidermann pris en flagrant délit de mensonge
Paris, lundi 13 octobre 2014
Après la diffusion de l’enquête de Laurent Richard « Industrie du Tabac, la grande manipulation » dans CASH INVESTIGATION sur France 2.
« Quand on n’est pas sûr, on ne dit rien, même si c’est frustrant ».
La phrase est de Daniel Schneidermann. Elle date de ce week-end. Un long week-end très compliqué pour celui qui dirige la publication d’Arrêt sur images (ASI). Un site internet qui révèle les dessous de la télé. Du moins qui tente.
De vendredi soir à dimanche midi, Daniel Schneidermann a passé son temps connecté à son site à corriger les graves erreurs et à effacer les petits mensonges de la rédaction d’ASI.
Nous, chez Premières Lignes, on s’est dit que ça valait le coup de vous raconter ce week-end pourri de Daniel Schneidermann, tant l’arroseur s’est retrouvé arrosé, version Icebucket Challenge. Mais surtout, pour ne pas laisser passer ce genre de méthodes journalistiques, aussi approximatives que malhonnêtes.
Vendredi 10 octobre 2014, 15h : le scoop très bizarre d’ASI
SMS de mon collègue Arthur : « Dis, t’as vu le papier d’Arrêt sur images à propos de notre magazine Cash Investigation sur le lobby du tabac » ? (la fiche du documentaire de Cash Investigation, les articles de presse, un extrait, le lien VOD).
– Ben non, pas du tout, je n’étais même pas au courant qu’ils faisaient un papier sur notre doc. Personne d’ASI ne m’a appelé. »
Je me connecte sur ASI. Je lis et découvre un scoop énorme. ASI a obtenu des annexes classées secrètes à un contrat liant les industries du tabac à l’Union Européenne. Et c’est le service de presse du ministère du Budget à Bercy qui aurait tout balancé à Anne-Sophie Jacques, journaliste employée par le site Arrêt sur images.
Ces annexes secrètes, j’ai tenté pendant huit mois de les obtenir au cours de mon enquête sur le lobby du tabac, en vain. Elles définissent les « attentes raisonnables » des cigarettiers vis à vis de la Commission européenne et des états membres avec lesquels ils ont passé des contrats. « Reasonable expectations » en anglais dans le texte. Des cigarettiers qui peuvent même à tout moment suspendre leurs versements annuels de dizaines de millions d’euros s’ils n’obtiennent pas ce qu’ils attendent en échange.
ASI prétend avoir lu ces annexes et donc découvert ce qui était caché jusque là. « Le mystère s’est envolé », « rien n’est caché », « Bercy nous a tout
raconté »…Mazette ! Du lourd. Et de se foutre un peu de nous au passage, en expliquant qu’il leur a suffi de 48h pour tout savoir. Avec « pour seul
pied-de-biche » disent-ils, leur téléphone, pris en photo pour l’occasion. Mais bizarrement, l’article ne nous dit pas quelles sont ces fameuses contreparties promises par les autorités politiques de l’Union Européenne.
15h30 : premiers bafouillages d’ASI au téléphone
Je fais sonner le « pied-de-biche » d’Anne-Sophie Jacques. Je lui demande pourquoi elle n’a pris la peine de m’appeler avant, étant le principal protagoniste de son papier ? Réponse d’ASI : « Euh… Euh…C’est vrai, c’est pas bien… ».
Je crois rêver. Une journaliste d’ASI dont le métier consiste à enquêter sur les pratiques de ses confrères, en oublie l’essentiel, à savoir sortir son pied-de-biche de sa poche et appeler avant de publier.
Je passe à la question suivante : « quelles sont donc les fameuses « attentes raisonnables » des cigarettiers qui se trouvent dans les annexes que vous prétendez avoir ? »
– ASI : « Les quoi ? »
Bon, je vous passe les détails, mais clairement Anne-Sophie Jacques avait tout confondu. Ses fameuses annexes à elle, n’étaient que les annexes générales attenantes aux contrats. Aucun document au sujet de ces contreparties promises aux cigarettiers. Le scoop était bidon.
15h35 : comment ASI s’est laissé enfumé par le service de presse de Bercy
C’est durant la même conversation que je comprends d’où vient le problème. Arrêt sur images a mené son enquête à toute vitesse et a cru qu’en deux clics sur Google et un coup de fil au ministère du Budget, ça suffirait.
Chère Anne-Sophie Jacques, méfiez vous des services de presse des ministères, ils ne disent pas toujours la vérité. Mais surtout, pensez à vérifier par vous-même. Car l’abonné d’ASI qui a payé pour lire, doit être bien déçu aujourd’hui.
Nulle révélation dans le papier comme le promettait le titre : « Le lièvre de Cash investigation n’est qu’un lapin bizarre ». Affirmatif et sans point d’interrogation. Malaise d’Anne-Sophie Jacques au téléphone : « Euh, le titre, c’est pas moi. C’est Daniel. Donc c’est difficile pour moi de le défendre ».
Mais ASI me promet une mise à jour. Je la découvrirai 5 heures plus tard. Tout aussi malhonnête que le papier originel. Et ASI qui affirme toujours avoir eu accès à ces documents. Alors même que la journaliste Anne Sophie Jacques m’avait avoué le contraire au téléphone. Je lui demande de me passer le portable de son boss. Elle refuse.
Samedi 11 octobre 10h : Daniel Schneidermann se terre
6 appels sans réponse. 2 messages vocaux. 2 mails. Rien. Daniel Schneidermann en pleine stratégie de l’évitement.
Et puis à 17h25 : Miracle. Je reçois un mail. « Désolé, compliqué de se parler aujourd’hui, je cours toute la journée ». Mais il me propose de réécrire moi même « une mise a jour plus précise ».
Je lui réponds par un long mail et lui pose une série de question pour comprendre à mon tour commentil a travaillé sur ce sujet en tant que directeur de la publication. A la façon ASI. Un peu comme dans « Vis ma vie ». Cette fois c’est moi qui pose les questions à Daniel.
J’adore ce concept.
« Ne pensez vous pas qu’il aurait été préférable de contacter le principal protagoniste de votre papier ? Pourquoi ne pas prendre ce temps-là ? »
Daniel Schneidermann ne répond pas.
« Un seul coup de fil à l’attaché de presse d’un ministère, est ce bien suffisant ? » Daniel Schneidermann ne répond toujours pas.
« Avant publication de votre article, avez vous pensé à vérifier que vous aviez bien sous vos yeux le détail de l’annexe concernant les ‘reasonable expectations’ » ? Silence total.
« Pourquoi maintenir une information fausse quand on sait qu’elle est fausse ? » Daniel Schneidermann a piscine.
Le directeur de la publication refuse de répondre mais se permet tout de même un petit mail nous expliquant que nos remarques « ne permettent pas en l’état de conclure » et d’ajouter à notre attention une petite observation bienveillante :
« Quand on n’est pas sûr, on ne dit rien, même si c’est frustrant. »
Samedi 20h : le temps des aveux et des premières corrections
Il est comme ça Dany. D’abord Il se tait. Puis il s’énerve. Et enfin il réfléchit. Samedi, en début de soirée, je reçois un mail de sa part : « Après relecture, j’ai adouci l’article. Rajouté quelques ‘selon Bercy’ etpassé le titre au mode interrogatif ». Ah. On y vient. Il était temps.
Puis je me connecte sur le site et découvre que ASI maintient toujours avoir eu accès à ces fameux documents confidentiels.Je lui renvoie dimanche matin un nouveau message plus ferme. Je n’aurais plus jamais de réponse de sa part. Mais je découvrirai dimanche à la mi-journée sur son site des modifications majeures apportées au papier. Enfin.
Le site ASI ne prétend plus rien. Le site n’affirme plus avoir trouvé ces fameuses annexes. Et pour cause, comme c’était bien expliqué dans notre enquête de Cash Investigation par un responsable de la Commission européenne, « ces documents sont confidentiels en raison du secret industriel ». ASI avait dû louper ce passage. Fini le scoop. L’abonné d’ASI ne doit plus rien y comprendre.
Des excuses de Daniel Schneidermann? Non, vous n’y pensez pas. Moi, perso, j’ai cru un instant qu’il allait m’envoyer un petit mot d’excuses, en patron de publication responsable. Je pensais aussi qu’il était resté ce talentueux journaliste du Monde qu’il était pendant des dizaines d’années. De l’eau a coulé sous les ponts, et après avoir été dégagé de l’audiovisuel public, il a investi le net. Mais les moyens matériels et le temps d’enquête doivent manquer à Arrêtsurimages.net. Et ça se voit.
Pour finir, j’ai beau chercher, je ne trouve pas mieux que de citer notre héros du week-end : « Quand on n’est pas sûr, on ne dit rien, même si c’est frustrant ».
Laurent RICHARD
Rédacteur en chef Premières Lignes